Responsabilité et sujet : pour une responsabilité personnelle objective

Abstract

L'histoire du droit français de la responsabilité civile est connue : c’est celle d ’un mouvement vers une objectivation toujours accrue. L’évolution paraît si profonde et irréversible que certains ont pu y voir la perte de la notion même de responsabilité et s’inquiéter d’un droit qui, malgré l’usage du mot « responsabilité », ne renverrait plus à une quelconque réalité. Dès lors, à la supposer ainsi mise en péril, sauver, ou à tout le moins maintenir la responsabilité, passerait par sa restauration. Il s’agirait alors, et bien des raisons fortes pourraient le soutenir, de remettre au cœur de notre droit positif la conscience et le discernement moral des personnes, le lien entre responsabilité et culpabilité. L ’objet du présent travail est de s’aventurer dans une troisième voie. Elle a l’avantage d’être plus proche de l’évolution du droit positif tout en s’appuyant fortement sur un lien indéfectible entre la responsabilité et le sujet de droit. En effet, on ne doit parler de responsabilité que si l’obligation de réparer naît de l’imputation d’un dommage à un sujet de droit. Les autres mécanismes qui se dispensent de cette imputation relèvent de la garantie et non pas de la responsabilité. Mais la différence essentielle par rapport à une conception traditionnelle et moraliste de la responsabilité est la suivante : la personne est un sujet de droit responsable non pas nécessairement parce qu’elle a une conscience morale du dommage qu’elle cause, mais en tant qu’elle est un sujet actif, agissant dans le monde. C’est la personne comme sujet de droit et en tant qu’elle a le pouvoir d’agir qui doit endosser une responsabilité. C ’est la personne comme agent et c’est son intervention comme action qui créent la responsabilité. Cette conception maintient radicalement à distance la responsabilité de la garantie, mais ne requiert plus comme condition nécessaire l’aptitude morale à distinguer le bien et le mal. De cette façon, on peut tout à la fois rendre compte de l’évolution du droit positif de la responsabilité vers son objectivation et néanmoins conserver une véritable responsabilité construite sur le sujet de droit.